Les deux tiers de nos animaux dépendent du soja américain pour se nourrir en protéines. Et l'Europe en dépend aux trois quarts. La légumineuse séduit ainsi nombre d'éleveurs français, notamment sous sa forme triturée et broyée de tourteau, car elle est un super-aliment, très nutritif et facile à digérer pour les animaux. « Si on veut faire produire beaucoup de lait aux vaches, ou si l'on veut des animaux qui grossissent plus vite, effectivement, on va complémenter la ration alimentaire avec beaucoup de soja » « La France importe chaque année entre 3.5MT et 4.2MT de soja, estimait en juin dernier un rapport de Greenpeace sur le sujet. En 2017, 61% de ce soja provenait du Brésil, qui est donc de très loin notre premier fournisseur, avec plus de 2 millions de tonnes par an. » Si nous voulions produire en France ces 3,5 millions de tonnes de fèves, « cela équivaudrait à cultiver du soja sur la quasi-totalité des terres agricoles du Morbihan, des Côtes-d'Armor et du Finistère », indiquait également l'ONG. Au-delà de ses vertus nutritionnelles, cet oléagineux doit son succès aux accords de libre-échange. D'abord, dans les années 1960, quand « l'Europe a ouvert nos frontières au soja, étasunien principalement, et en échange, on a pu exporter nos céréales », raconte Suzanne Dalle. Puis, « en 1992, poursuit Marc Dufumier, la nouvelle PAC européenne a mis en place des subventions pour soutenir la production de céréales, de lait, de viande, de sucre mis en concurrence sur le marché international. Mais, sur pression des États-Unis, les protéagineux, dont le soja, n'ont pas fait l'objet d'aides. Ça a été dissuasif : mieux valait importer que produire localement. » Cet accord est désormais connu sous le nom de Blair House. De l'autre côté de la planète, tirée par notre demande — et celle de la Chine — en aliments pour le bétail, la culture du soja a explosé en Amérique latine. Au Brésil, d'après Greenpeace, la production de soja a plus que quadruplé ces 20 dernières années, à grand renfort d'accaparement de terres, de modification génétique (95%) et d'herbicides. En important moins de soja et en soutenant la production européenne de protéagineux, nous réduirions le transport maritime, et surtout, puisque les légumineuses fertilisent naturellement le sol en azote, nous éviterions de mettre trop d'engrais azotés de synthèse, qui sont coûteux en énergies fossiles et émetteurs de protoxyde d'azote, un important gaz à effet de serre. Quant aux surfaces nécessaires pour cultiver l'équivalent de 3,5MT de soja, il nous faudrait mettre des cultures de légumineuses – soja, luzerne, trèfle, féverole, lupin — sur 1.4Mha en France. Nous pourrions les prendre sur 700kha de maïs ensilage et sur 700kha de blé, seigle et autres céréales, que nous exportons aujourd'hui.